A fleur de rose

A fleur de rose

Dans un monde où le regard ne s’accroche à plus rien, James – le détaillé – s’arrête sur une scène : celle d’un rendez-vous manqué.

Dans le théâtre du jour après jour, James – fidèle à ses habitudes d’habitué – était posté à sa table qui lui sert de pilier. Se supportant tant bien que mal tout en se masquant par la fumée des cigarettes combinée à la noyade de quelques verres, le vide d’une situation attire son œil. Non loin de lui se tenait une rose bien placée, ouverte : attendant la cueillette. Le petit vase enveloppant cette belle nature était à peine humide : lui donnant l’aspect d’une vigoureuse ou d’une flétrie. Ce n’est qu’une fleur… quelqu’un a du l’oublier – pensait James. Se promenant nonchalamment au second plan, il se demandait : à quel corps ou coeur, était-elle destinée ?

Ce n’est pas tous les jours que l’on peut observer la peinture d’un vide amoureux. Quoi de plus symbolique qu’une absence à table dans un monde virevoltant où deux êtres, censés s’aimer : ne se retrouvent pas. Touché par cet abandon floral, James décida de s’assoir pour attendre l’arrivée de quelqu’un, de quelque chose – d’un événement. Seul, tout en reluquant la fleur, les passants observent le personnage : James était un petit animal curieux et patient.

Alors qu’un pétale rouge s’écroule avec lourdeur, James songe à celles et ceux qui attendent, stressent, paniquent et s’inquiètent. Il n’y a rien de plus difficile que d’être là, fixe et imaginant tous les possibles devenus des fantasmes mordants qui vous titillent l’esprit. Plus le temps passe, plus la fleur s’effrite, le rouge s’estompe pour laisser place à des couleurs sombres. Les pétales se referment et tombent pour offrir une tige de ronce : sèche, piquante et blessante. Comme pour toute chose ou relation : le temps et l’espace tuent ou font renaître des sentiments : tout dépend de la personne ; celle qui s’assiéra à cette table. Perdu sur ce cercle qui n’est pas la sien, James se laisse transpercer par les théâtres invisibles se jouant sur des tables familières, communes, intérieures ou extérieures, réservées – peu importe. Ici, se lient ou se délient, les mains qui se sont tenues, caressées, apprivoisées, celles qui ont été bonnes, dures, généreuses ou retenues. Tout doucement, la fleur penche sous le poids des pétales car plus rien ne l’irrigue : les heures l’épuise, les minutes lui pèse, les secondes la sèche. Comme un cœur trop lourd à porter, elle se détache progressivement de sa tige puis tombe à terre pour s’éclater.

James observe l’action et ne peux s’empêcher de verser une larme. Le temps d’un amour s’était écoulé sans même qu’il soit présent. Depuis qu’il était assis : combien de temps s’était écoulé ? Combien d’espoirs avait-il compté ? Qui été venu à sa rencontre ? Qui n’a jamais osé venir lui parler ? Autant de questions sans réponses qui lui font quitter une scène banale devenue tragique.

Dans ce bref instant de départ pouvant signer l’arrêt qui le reconduira vers son monde, sa table, James se retrouve nez à nez avec une personne apportant une rose nouvelle : preuve que dans l’étirement d’une absence trompeuse, il faut un peu de patience pour attendre la personne aimante… malgré l’attente.

A fleur de rose