Calabrais

En lévitation, comme accroché à la boule bleutée par une paire de bretelle se confondant avec l’azur, il faisait parcourir ses deux yeux roulant dans leurs orbites sur un pied saccagé par un accident de la route. Fracas indescriptible de chair-acier-tendons-résine-muscles-verres-os aluminium-alliage métallique des broches tentant de rattacher l’excroissance plantaire à la jambe, ses mains en apposition au-dessus d’un entrelacs de cicatrices chirurgicales, il lui délivrait un message.

Calabrais ! Cesse donc de jouer au sceptique ! Laisse que je capte les palpitations de ce membre encore déchiré. Que serait ton corps sans son pied ? Quel pas encoderais-tu désormais sur le visage effrité de cette terre ? De ta part, venant du pays où Charybde et Scylla régnèrent en monstres incontestés voici de cela des temps immémoriaux, je ne saurais me résoudre à t’entendre me dire que nos corps ne sont pas traversés par l’énergie des autres corps, des lieux et du temps. Toi qui es né sur les bords du détroit de Messine, dans les tourbillons malins, dans un passage privilégié béni des vents et privilégié par les énergies de Mare Nostrum, je peux comprendre que tu sois fou comme la plupart de tes congénères mais, par la Sicile voisine, laisse que j’écoute le battement de ta cheville ! Laisse que Fortune te recouse à toi-même !

Calabrais, tu es comme le courant qui glisse sur son toboggan sous-marin, tu racles ! Raclure ! Tu racles les fonds, dont tu effaces toute trace de ton passage, sans que jamais ne soit aperçu à la surface la moindre preuve de tes forfaits. Sous-marin ! Tu agis en sous-marin, agi par l’appel des grandes plaines sous la mer ! Tu es le sous-marin avide du manque d’oxygène, de l’étouffement, de tout ce que tu caches. Amphibien !  Et pourtant que de superbe lorsque tu reviens toucher terre.

 Calabrais

Quel cruel théâtre, cul-terreux, t’as-vu éclore ?

Quelle société enfantine as-tu fréquenté ?

Je lis à ton rictus les silences du secret

C’est du secret que tu secrètes sur tes lèvres

Ton silence

Lové dans les moindres interstices de ton corps

Qui se rappelle à toi par son démembrement

Ce silence qui sonne comme la douleur à ton pied qui ne reconnaît qu’à peine la cheville qui lui permettait d’encoder le visage effrité de cette terre

Ton silence qui est ta Loi

Ta Loi sera désormais celle que je n’oserai jamais prononcer

Je tais ta Loi

Le Calabrais acquiesça avec résolution, et d’un mutisme sans âge s’étendit sur le sol, les mains jointes au niveau du plexus. Un rictus à même son visage, dans le silence des organes.

Les bretelles se détendirent en un coup de tonnerre. Il reprit une station debout, tourna autour du corps posé au sol. Quelques signes jetés de ses mains s’éparpillèrent dans l’air. La marée discrète de Mare Nostrum glissa sous le Calabrais et le ramena vers ses grandes plaines.

 Ils s’étaient compris.

Calabrais