James et les corbeaux #1
Il était une fois, un monde désolé. Un univers inconsolable. Une époque qui n’est ni dans le passé, le présent ou le futur. Un monde plus ou moins désertique où les arbres sont devenus secs et où les feuilles s’effritent. En ce lieu, le ciel était presque dépourvu de nuages. Aucun vent, seuls quelques nuages sombres étaient disséminés. Dans ce décor, des oiseaux sombres avaient trouvé refuges. Des corbeaux, des piafs, des corneilles, une multitude de volatiles qui jusque là c’étaient fait discret. Jadis, ces oiseaux vivaient reclus. Nous les trouvions dans les champs fraichement coupés où au fin fond des forêts lugubres et pleines de mystères.
James avait atterri ici. Il était sans doute le premier à joncher cette terre sèche et aride. Il n’était pas tranquille – un sentiment qui lui parcourait l’échine depuis quelques temps. Il avait, depuis longtemps, parcouru de nombreux espaces mais celui-ci ne lui était pas familier. Il se sentait étranger. Il était « un autre ». Il était sans bagages – et même sans clop ; c’est dire à quel point il était dépouillé. Fragile et sans sa cape, il marchait tandis que la terre craquelée sous ses pas. Dans les arbres tortueux se trouvaient les oiseaux qui l’observaient, se demandant, qui était-il et que venait-il faire. Etait-il de passage ? Etait-il perdu ? Etait-il ami ou ennemi ? James faisait mine de ne rien voir se disant que, tôt ou tard, il tomberait sur une route, un chemin, un panneau qui lui pointerait une direction sûre, quelque chose de réelle. Malheureusement, il n’en était rien. Fouillant dans ses poches désespérément, il priait pour une cigarette égarée ou même un mégot, quelque chose qui lui donnerait un peu de contenance. Difficile de marcher sans ne rien faire et sans être occupé, un minimum. Pour se faire passer l’envie, il se dirigea vers un des arbres morts et arracha une brindille qu’il mit dans sa bouche à la manière d’un cure-dents. C’est alors que les corbeaux fixèrent leurs yeux sur lui. Tous, sans exception, le regardaient comme si celui-ci avait commis un sacrilège. Les oiseaux ne bougeaient pas comme les prédateurs qui arrêtent leurs mouvements avant de fondre sur leur proie. James sentis qu’il avait commis… une erreur. Il recula doucement de l’arbre mort, sans mouvement brusque, de peur que les volatiles carnassiers lui fassent la peau. Par chance il avait un briquet, qu’il s’empressa d’utiliser pour allumer la brindille et tirer dessus comme on tire sur une clop, tout en pensant que le feu effraierait les animaux. Malheureusement, le contraire se produisit et tandis que les corbeaux croassés de plus belles l’arbre mort se coupa de toute part et un oiseau monstrueux en sortis. James était pétrifié, ses jambes grelotaient. Tout son corps lui ordonnait de fuir mais rien ne fonctionnait. Il était paralysé. L’énorme oiseau se pencha vers James et ouvrit son large bec comme pour parler et parmi les croassements de la bête, James entendit des mots.
- Briseur de branche ! Créature indigne ! Petit être qui n’a que la peau sur les os, qui es-tu ?
- Moi… Personne. Juste quelqu’un de passage. Répondis James d’un ton anxieux.
- Personne ? Non, personne ne peut être personne, sais-tu ce que tu as fait ?
- Non, navré je l’ignore.
- Tu as fait du bruit !
- Pardon ? Demanda James, très perplexe.
- Oui, tu as fait craquer cette branche. Tu l’as prise pour acquise mais pire que cela ! Tu as fait du bruit alors qu’ici, il n’y a pas de bruit, il n’y aura plus jamais de bruit.
- Pourtant nous parlons et faisons du bruit, n’est-ce pas trop dérangeant ?
- Ne joue pas à cela, étrange petite bête ! Chut…
- …
- Que compte tu faire de cette brindilles ? Murmura le corbeau.
- J’aimerais la fumer. Dis James tout en murmurant.
- Fumer cette brindille serait comme si tu cherchais à me fumer.
- Vous enfumer.
- Non, fumer.
- Vous fumer ce n’est pas possible. Un oiseau ça ne se fume pas, encore que…
- Quoi… Tu te moques, tu cherches à m’embrouiller l’esprit.
- Ha non, loin de moi cette pensée, monsieur…
- Oui c’est ça, vas y trouve moi un nom d’oiseau. J’attends…
- Un nom d’oiseau, sûre et certain ?
- Oui vas y.
- Ok… « Corbabre »
- Intéressant… Tu as de l’esprit !
- Je peux faire mieux !
- Je t’écoute.
- Ok… « Beau cor d’arbre ».
- C’est moins direct.
- Bien, va pour « Corbabre » dans ce cas.
- J’accepte et puisque tu m’as trouvé un nom, je vais t’autoriser à fumer cette brindille.
- Oh merci ! S’écria James.
- Chut ! Pas trop fort ils pourraient nous entendre.
- Qui ?
- Les autres dans les arbres.
- Vous êtes nombreux ?
- Oui nous le sommes. Chacun sans nom. Chacun figé à l’intérieur des arbres morts. Chacun avec des souhaits. Quel est ton nom ?
- Je m’appelle James.
- Soit James. Parcoure la plaine et tu trouvera une vallée où vivent plusieurs corbeaux, beaucoup plus petit que moi. Essaye de gagner leur confiance et alors tu trouvera peut être une raison à ta présence ici.
L’oiseau resta un temps immobile face à James puis soudainement, sa peau se transforma en écorce. Il finit pétrifié se fondant dans l’arbre. Il était semblable à une branche morte alors James comprit que son acte avait peut être blessé l’animal. Cette brindille arrachée était peut être bien plus qu’un simple bout de bois.
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