Instantanés discrets

Rue de Rome

Les particules de lumière assaillent les fils qui maillent ton habit ; il semble couler, tomber sur le trottoir mais toujours se reprendre juste avant l’impact, il virevolte en tous sens. Je devine une forme qui impulse à l’ensemble son mouvement chaloupé. Le long de la rue, je te suis. Rue de Rome. Ton regard se tourne vers une vitrine. Magasin de chaussures. Je te dépasse et tente d’apercevoir ton visage en reflet parmi les articles. C’est ton regard, ton regard seul, seul ton regard, seulement ton regard qui m’est donné, qui nous est donné à tous. Ton habit se promène sur l’ensemble de ton corps, enveloppe ton visage et glisse aussi sur tes mains. Tu ne livres au monde que deux yeux, et c’est tout le reste que je ne sais pas. Que tu me donnes à deviner.

Syncope

La rue suait de tous ses pores et de chacun de ses interstices sous son balcon. Ça coulait, coulait, ça se tapissait dans le moindre trou, ça tapissait les murs de paroles dégoulinantes, ruisselant de la tête au pied de chaque passant. Il avait un jour entendu à la radio qu’un musicien avait enregistré les bruits d’une avenue new-yorkaise, mixé les sons et s’était rendu compte qu’un équilibre rythmique général prédominait à l’ensemble. Dans sa petite rue, Il aurait volontiers préfiguré une rythmique plus syncopée, plus complexe ; une saleté dysharmonique.

N’ayons crainte, cela changera !

A matin, il n’était pas rare de croiser le long de la course de ses pas quelque rat éventré qui faisait prendre l’air à ses entrailles. Boyaux, sang s’asséchant sur le pourtour de la peau et des poils, tout baignait dans son milieu visqueux.

Le petit corps avait dû enfler sous la pression des pneus d’une voiture, sans pouvoir contenir ses limites. La panse du rat explosée, s’exposait aux regards, lascive et sereine.

Tant que les rats n’apprendront pas à se glisser sans heurts sous les roues des mécaniques humaines, le passant se contentera de l’enjamber ou de faire un mince pas de côté, indolent dans son rythme quotidien.

N’ayons crainte, cela changera !

Instantanés discrets